Les Annales du Disque-monde, 30: Timbré (Terry Pratchett)

Le 30° livre (l’un des derniers parus) des Annales du Disque-monde a été adapté en téléfilm, la diffusion britannique arrive dimanche…
 
 
On met le paquet sur le Vade-Mecum, et pour l’occasion j’en ai reparlé à ma mère à qui je voulais le faire lire parce qu’elle est une grande adepte de la Poste et des timbres de collection, mais jusque là les termes « fantasy burlesque » la faisaient reculer malgré mes explications. En me voyant aussi passionnée par tout ce que j’ai traduit de vachement intéressant dernièrement, notamment sur les timbres du Disque-monde fabriqués par Bernard Pearson, (il y a aussi mes scrapbooks qui s’orientent sur les timbres (j’ai redécouvert des trésors de ma jeunesse, c’est trop bête que ça dorme au fond d’un placard)), elle a fini par se laisser convaincre!
 
Et voilà qu’en ressortant mon tome de l’étagère, je l’ai re-feuilleté rapidement… et je me suis encore retrouvée à le relire en entier
 
 

 
 
 
 
 
C’était donc, si je ne m’abuse, ma 4° (ou 5°?) lecture de ce tome, qui est vraiment un de mes grands préférés de la série.
En fait j’avais déjà fait une chronique à ma première lecture, mais qui ne me satisfait pas, donc je vais retenter…
 
Ce 30° tome marque un véritable tournant dans la série, un renouveau magistral avec toute une floppée de nouveaux personnages tous plus pratchettiens les uns que les autres. Mais les anciens sont présents malgré tout.
 
 
« Le Guet a recruté toute une ribambelle de nains, de trolls, un golem – un golem libre, sauf votre respect, monsieur Lapompe – deux gnomes, un zombie… et même un Chicque.
– Un chicque? C’est quoi un chicque?
– Le caporal Chicard Chique, monsieur. Pas encore croisé? Paraît qu’il a un certificat officiel qui garantit qu’il est humain, comme si on avait besoin de ces machins-là, hein? Heureusement il est le seul de son espèce, alors il ne peut pas se reproduire. »

 
 
  Mention spéciale à Vétérini, plus omniscient et « tyrannique » que jamais.
Et le tournant est en fait le développement des germes de la modernisation de la ville d’Ankh-Morpork semés ça et là lors des précédents tomes.
Une parodie de la Révolution Industrielle sans la mécanique, quoi. De quoi me plaire forcément, avec aussi le petit je-ne-sais-quoi d’irrésistiblement victorien… (bien qu’en le disant je me demande bien où je l’ai trouvé, mais le fait est. peut-être tout simplement parce que Pterry s’est inspiré de la Poste british victorienne que que ça ressort dans l’esprit, quelque chose comme ça.)
 

L’intrigue axée sur la résurrection de la Poste municipale contre les tours sémaphoriques exploitées par un pirate – littéralement – est hautement intéressante, on peut y voir tout un tas de parallèles, avec les débuts d’internet, avec les privatisations d’entreprises, avec notre Poste à nous…
 
 
Et surtout, surtout, on fait la connaissance de Moite von Lipwig. Un pur escroc. Charmeur et hypocrite. Pile le genre de type que j’exècre le plus dans la vraie vie. Le filou indécrottable, avec toujours derrière la tête l’idée de gruger son semblable. 
Mais Moite fait l’exception. Dès le début je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir un petit faible pour lui, puis un gros faible, puis une énorme fanitude inconditionnelle ^^
 
 
Et puis au fond c’est un gentil… Il faudra juste toute la dextérité implacable de Vétérini pour percer à jour cette nature de type bien enfouie sous des couches et des couches de roublardise. Et même quand on se dit que c’est quand même un gros salaud, on doit reconnaître qu’il a toujours eu une certaine éthique:
 
 
« Vol. Escroquerie. Contrefaçon. Malversation. Mais toujours – et c’était important – sans armes, ni haine, ni violence. »
 
 
Ici on peut évidemment voir un parallèle entre Albert Spaggiari, et Albert Paillon, le dernier nom d’emprunt de Moite…
 
Et les autres nouveaux personnages sont une belle floppée d’atypiques, de dérangés et de forts en gueule tous plus attachants les uns que les autres, notamment Yves, élevé par des pois (« un cas rare », c’est le moins qu’on puisse dire ^^)

« Il s’interrompit. Un changement s’était opéré sur la figure d’Yves : il effaçait, faisait oublier le sentiment vague que l’apprenti s’apprêtait à déchirer à pleines dents l’oreille de son interlocuteur. »
 

 
 
 
Qui peuvent buter sur les mots traîtres aussi bien que les nains.

 

 
« On se méfie héréditairriblement des chiens, monsieur »
(joli mot-valise, au passage) 
 
 
« (…) dans le continueumeumeumeumeum espace-temps (…) »
 
 
 
On retrouve aussi avec bonheur la fine équipe des mages, qui ont bien leur rôle dans le tome – car il faut le reconnaître, à part Vétérini et eux, les anciens ne font vraiment que passer, même Vimaire…
Et dans la plus pure tradition de l’UI et du concept selon lequel ceux qui en savent le plus en font le moins (le rôle d’un mage est de savoir faire de la magie, mais d’en connaître aussi les risques et conséquences, et donc de toujours éviter de la pratiquer ^^), nous apprenons que les omniscopes, ces fascinants appareils qui permettent de voir à distance, sont très difficiles à régler sur un point précis. Et étant donné qu’ils voient tout, et que dans le tout de l’univers il y a surtout les profondeurs de l’espace infini, c’est très pratique en guise de miroir et
« plus d’un mage s’était rafraîchi la barbe en contemplant le coeur sombre du cosmos. »
 
 
A propos de la magie, Moite en a d’ailleurs une vision très lucide et Vimairienne:

 

« Le voyage dans le temps n’était qu’une espèce de magie, après tout. Voilà pourquoi ça tournait toujours mal. Voilà pourquoi il y avait des facteurs avec des vrais pieds. Oh, on pouvait accomplir tout ça par magie, assurément. Puis, quelque part, la magie présentait la note, qui excédait toujours les moyens dont on disposait. »
 
 
Soit dit en passant, remplacez la magie par l’industrialisation, et vous y retrouverez encore un certain écho de notre Globe-monde…
 
Nous découvrons aussi qu’il existe sur le Disque un Dictionnaire des synonymes du mot « chausson » en au moins 41 volumes. Je serais curieuse de pouvoir le feuilleter ^^
(oui non je dis pas « jeter un oeil », la magie du Disque-monde serait capable de le prendre à la lettre)
 
On découvre aussi que la bibliothèque de l’UI a un département de bibliomancie morbide, ce qui est très intéressant… On a un peu la suite dans Making Money et Unseen Academicals, mais ce n’est plus tout à fait la bibliomancie, et c’est dommage.
 
« Certains étaient recouverts de confiture! » brailla Moite avant que ses yeux fassent le point. Quoi? »
 
Je suis tombée aussi sur la fameuse référence à Tolkien dont avait parlé je ne sais plus quel article et qui nous avait laissés assez dubitatifs au Vade-mecum, sorti du contexte ça ne se voit pas vraiment mais à la lecture, pour peu qu’on le sache c’est effectivement flagrant:

 
« Il y avait pénurie de propriétés en bord de mer avec écoulements de vraie lave près d’une source garantie de piranhas, et le monde pouvait parfaitement se passer d’un seigneur noir de plus, surtout quand il disposait d’un Sylvère qui se débrouillait si bien. sylvère n’avait pas besoin d’une tour au pied de laquelle campaient dix mille trolls. »
 
 
 
D’ailleurs en parlant de Sylvère, son Igor n’est pas mal non plus.
 
 
 
« Je crois que je vais retourner dans les montagnes. Au moins, les monstres de là-bas ont la décence de ressembler à ce qu’ils sont. »
 
 
On assiste aussi à la naissance des timbres, qui est assez fidèle à l’historique des notres, il me semble (je pense surtout au fait qu’avant, c’était juste un tampon, et que l’idée de Moite de mettre ce tampon sur un bout de papier sonne très authentique).
 
 
« Les gens s’envoient des lettres à eux-même comme ça les timbres passent par la poste, ça les rend réels, ça prouve qu’ils ont servi. Les gens les collectionnent, monsieur! »
 
Et à la relecture, j’ai fait plus attention aux détails et j’ai repéré la façon dont Couton a traduit le jeu de mot « Mr Lipstick ». Il a mis « M. Roujalèvre », ce que je trouve très maladroit, une grosse exception au talent exceptionnel de notre Couton national… A la première lecture je n’avais pas du tout tilté que Liard parlait de Lipwig à ce moment-là.
Alors que lipstick, je pense que c’est devenu assez courant culturellement pour qu’il n’y ait pas besoin de le traduire… Et au pire, au moins se rapprocher de Lipwig, par exemple avec le mot « lippe » (dérivé de lèvres, « faire la lippe » = faire la moue, je le sais parce que c’est l’étymologie de mon nom de famille), quelque chose comme Lippewic, par exemple.
 
Mais je lui pardonne parce que c’est très astucieusement compensé par le nom d’Yves Hertellier, très certainement dérivé de Yvert & Tellier, qui est apparement une grande institution pour collectionneurs en tous genres, y compris de timbres, ce qui reflète parfaitement la VO de Stanley Hover, reprise parodique de Stanley Gibbons, un catalogue philatéliste de référence. (j’ai découvert Yvert&Tellier par hasard, et j’ai appris pour Gibbons par la traduction de Mirliton pour ça, c’est ça que j’adore chez Pratchett: c’est tordu et faut les trouver, mais quand on met le doigt sur les clins d’oeils et références, c’est vraiment le pied!)
 
Voilà voilà voilà.
Euh… Pourquoi c’est toujours sur les livres qu’on aime le plus qu’on a le plus de mal à parler? Y’a encore des tonnes de choses qui me font adorer ce livre, mais je ne sais pas quoi exactement, je ne sais pas comment en parler, et puis c’est surtout un grand tout…
 
Alors je vais terminer par un petit florilège de citations de Moite, épiwoala.
 
(Et allez voir le Vade-mecum ^^  – bawi, une p’tite couche de pub supplémentaire ne fait jamais de mal)

 
*  *  *

« Les gens sont bizarres. Volez cinq piastres et vous êtes un voleur à la petite semaine. Volez-en des milliers et vous êtes soit l’Etat, soit un héros. »
 
 
« Je suis très attaché à mon bras. Je me suis dit que je ferais mieux de le suivre. »
 

« Il fallait reconnaître que ce salaud avait une certaine classe… » [en parlant de Vétérini]
 
« C’est comme ça qu’il traite les autres? On est des marionnettes. Sauf qu’il s’arrange pour qu’on tire soi-même ses propres ficelles. » [idem]
 
« Pipi » beugla Moite. Il le regretta aussitôt. C’était franchement ridicule de brailler un nom pareil dans un bâtiment en flammes. [id.]
 
« Mais… Ben, faut d’abord apprendre à marcher avant de vouloir courir, monsieur!
– Non! Le poing de Moite s’abattit avec un bruit sourd sur la table. Ne dites jamais ça, Tollivier! Jamais! Courez avant de marcher! Volez avant de ramper! Allez toujours de l’avant! (…) si on échoue, je préfère que ce soit sur une grande échelle. Tout ou rien, monsieur Liard!
– Houlà, monsieur » fit Liard.
 
« Toujours aller vite, monsieur Bobine. On ne sait jamais ce qu’on a aux trousses. »
 
« Vous n’avez jamais entendu dire qu’il fallait apprendre à marcher avant de courir?
– C’est une théorie, oui. »

 

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