S’il y a bien une relecture qui est devenue un petit rituel pour moi, c’est Le Père Porcher à chaque Noël.

La nuit du père Porcher: neige, fougères de givre, rouges-gorges, chorales et sapins décorés…
Mais le gros bonhomme de rouge vêtu, celui qu’on attend en cette nuit de fête… a disparu.
En lieu et place, faisant fonction, un autre bonhomme de rouge vêtu, dans son traîneau tiré par des cochons sauvages, avec sa hotte, sa fausse barbe et son oreiller pour simuler un ventre qu’il n’a pas.
Un bonhomme plus habitué à manier la faux qu’à descendre dans les cheminées distribuer des jouets par milliers. Mais quand le devoir appelle…
Car certains préméditent l’assassinat du père Porcher. Et s’ils arrivent à leurs fins… le soleil ne se lèvera pas.
Car ce qui est peu à peu devenu le vieux rougeaud barbu qui fait le bonheur des grands commerces n’est que l’avatar d’un héritage bien plus ancien et bien plus primitif.
Tout comme, chez nous, l’effigie de la pub de Coca Cola, le divin enfant, les rois mages etc ont pris le relais des fêtes païennes, le solstice, halfway out of the darkness, tout ça tout ça.
Toujours les bons vieux parallèles sociologiques caractéristiques de Pratchett: c’est pas le tout de rigoler, il y a aussi de la réflexion plus sérieuse.
Et tout particulièrement dans ce tome-là, je trouve.
Il est aussi particulièrement auto-référencé avec le reste de la série, ce qui peut en faire un tome plus ardu à la découverte, ou pas. Personnellement ce fut un de mes premiers, bien que pas le tout premier non plus, et je connaissais déjà La Mort et Suzanne, par exemple… Ce qui n’était pas le cas de tout le monde pendant la LC, notamment Spocky parmi les débutants du Disque, et je regrette un peu d’avoir pris le risque de les rebuter.
Malgré tout, je me souviens aussi qu’à la première lecture j’étais restée sur un sentiment mitigé et la frustration d’une nette conscience d’être passée à côté de trop de choses.
C’est typiquement le tome qui se bonifie avec les relectures: à chaque fois on découvre quelque chose qu’on n’avait pas remarqué auparavant, on redécouvre d’autres choses sous d’autres angles, et on ne se lasse pas des meilleurs passages qui sont toujours aussi jouissifs.
Même après de nombreuses relectures!
Et dans le détail de celle-ci, j’ai notamment relevé quelques belles répliques de Suzanne.

De grands moments chez les mages, où par curiosité je me suis éclatée à rechercher la V.O. de quelques passages.
Par exemple, le coup du rho omega tau, rhum et gâteaux en VF, ça donne au départ:
– Is this some sort of magic word?
– No. Susan sighed. They put it on all their menus. You might call it the unofficial motto of the University.
– What’s it mean?
Ou encore ++sort++ qui réclament des données et Ridculle qui comprend « dîner » et qui rétorque qu’ils ont plein de châtaignes s’il n’a pas peur des bogues.
En V.O. c’est data, confondu avec des dattes trop sticky.
Ou dans la même veine, quand le doyen s’excite à coups de « houp, houp! » et que Ridculle lui demande pourquoi il réclame une houppe, et qu’il essaye de se justifier en évoquant un ancien sens dans les opérations militaires, en V.O. c’est aussi très proche:
– Small wooden building? Ridcully suggested.
Plus près du Porcher, la vexation du major de promo quand il découvre que le doyen a toujours mis des taies d’oreiller en guise de chaussettes pour obtenir plus de cadeaux est un détail que j’avais oublié et qui est juste savoureux…
Tout comme les mages qui se souviennent de leurs Porchers d’antan, finalement universellement des « soirées qu’on voulait festives et qui finissaient invariablement par des engueulades d’adultes et des bagarres d’enfants ».
Et évidemment les bévues obstinées des mages qui surfent malgré eux sur l’excédent de foi qui cherche à se réincarner en personnifications plus ou moins anthropomorphiques, comme le mangeur de crayons, l’avaleur de chaussettes, ou…
J’ai remarqué aussi qu’à l’UI, la fée Bonne Humeur a un poulet sur l’épaule censé être l’Oiseau bleu du bonheur mais qui fait tristement cot-cot.
Quand on y fait gaffe, on en voit partout ^^
D’ailleurs en parlant de bananes, Ridculle et Cogite s’égarent dans une digression à leur sujet qui est tout bonnement savoureuse à mes yeux de bananaddict.
(et tellement vrai, qui ne s’y reconnaît pas…)
L’idylle qui se noue entre la fée Bonne Humeur et le major de promo, brisée par par l’ordre rétabli et donc la disparition des petites créatures générées sur l’excédent de foi, m’a plus touché que fait ricaner.
Le chérubin reste à piétiner derrière la vitre, que le Bonhomme Hiver, vexé de se faire accuser de ne faire que des motifs de fougère, agrémente de variantes…
Et quand l’excédent de foi est régulé, toutes les créatures ne disparaissent pas dans leur totalité: on retrouve par exemple le mangeur de chaussettes dans « Allez les mages », et on voit la fée Glinglanglinglan seulement chassée dans les égouts: du coup je serais curieuse d’imaginer ce qui se passe pour elle par la suite, si jamais j’avais le temps de me remettre aux fanfics ^^
C’est aussi la première fois que je percute vraiment ce qui se passe avec les mendiants qui voient un festin tomber du ciel, et en parallèle les cuisines d’un grand restau qui se retrouvent en état d’alerte parce que leurs victuailles ont disparu, mais qu’en revanche leurs réserves débordent de vieilles godasses boueuses.
Mais comme les morporkiens ont un estomac solide (par obligation, lol) et de la ressource, le chef improvise une nouvelle carte avec « Brodequin rôti façon Ombres » (en français dans le texte) et autres intitulés vaseux pour désigner en réalité de véritables semelles attendries et assaisonnées avec art… Et les clients en redemandent!
De toute façon ils viennent manger là parce qu’est ici qu’il faut être vu, rien de plus…
Le Père Porcher par interim a donc fait un échange judicieux, et j’ai adoré la réactivité typiquement morporkienne du chef cuisinier ^^
Et puis, il y a le dénouement avec la bataille contre les Contrôleurs,qui est vraiment plus impressionnante et plus compréhensible dans le téléfilm. On a un peu de mal à s’imprégner de toute l’ampleur de la scène tellement il y a de symbolique et d’abstrait, dans le livre.
Le soleil ne se serait pas levé. Une boule de gaz enflammé aurait tout bonnement illuminé le monde. »



Perso, je préfère quand une seule fin est plus marquée. Mais ma foi, ça se prête bien à la construction pratchettienne!
(Soit dit en passant, le petit Gauvain qui récupère l’oeil de verre de Leureduthé et s’en fait une bille de compétition est le petit détail qui fait froid dans le dos)

Ui’

Non pas par Pratchett, mais presque, tellement Patrick Couton est notre traducteur national de génie, LA plus grande personnalité Discworld en France…
J’étais avec l’équipe du Vade-mecum aux dernières Utopiales quand on l’a rencontré et interviewé pendant 3 heures (à venir sur le Vademecum, je mettrai cet article à jour), un très bon grand moment!
Et à la fin on y est évidemment tous allés de notre petite demande de dédicace personnelle, en plus du Dedicacum (voir détails dans l’interview à venir).
Baron et moi avions choisi de faire dédicacer nos tomes du Père Porcher.
Pour moi c’était parce que c’est lié à ma première grande révélation de l’immense chance qu’on a d’avoir ce traducteur aussi génial: dans mes premiers temps sur les forums du Vade-mecum, j’avais été prise dans une discussion sur les noms et jeux de mots en VF et en VO, et je m’étais demandé comment était la VO pour Lheureduthé, « prononcez Leredouté ». Baron avait été à la pêche aux infos et il s’est avéré qu’il n’y a PAS de jeu de mots en VO, c’est Teatime, qui insiste pour prononcer « Tee-ha-tim-eh » en déformant un peu les syllabes, c’est tout. Il n’y a pas ce 2° sens qui colle parfaitement, le redouté.
C’est génial.
Voilà ce que j’ai raconté au grand Patrick, d’où cette dédicace où il reprend d’ailleurs ce qu’il dit aussi à la fin de notre interview: c’était un coup de chance, c’est très souvent une question de chance plus qu’autre chose…
(malgré tout je persiste à affirmer qu’il a un sacré flair pour les voir, ces trucs-là, même s’il a la chance que ça tombe bien avec des équivalents et bonus qu’il peut caser ^^)
Comme dirait la Mort-aux-Rats: