Forcément, un vieux poche brocanté bien kitch mais néanmoins classe (Caza oblige) avec un titre pareil, ça ne pouvait que m’attirer !
La lecture fut une expérience de longue haleine, déroutante et à oscillations variables.
En ces temps de voyages supraluminiques, la tension règne entre les mondes de l’espace. C’est que dans cet univers de haute technologie, bien des inconnues demeurent, génératrices de conflits…
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Après une sorte de prologue plutôt mystérieux et déjà étonnant, le dépaysement s’installe avec le personnage principal de cette histoire : Peyr de la Fièretaillade, détective atypique s’il en est, fin gastronome et oenologue à ses heures, profitant d’une vie simple sur son petit satellite qui ne paye pas de mine.
La scène de son embauche pour cette aventure pose tout de suite le décor, très futuriste et décalé, un petit ovni de littérature SF…
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« Je travaillais avec ardeur dans un carré de fraisiers, lorsque Joe le robot surgit inopinément.
– Bip ! grinça-t-il de sa voix métallique et asexuée. L’ambassadeur général du Cercle Callimaque, Son Excellence Gontran de Croix-de-Vie, désire s’entretenir incontinent avec l’instigateur Peyr de la Fièretaillade. Bip !
– Et merde ! me dis-je in petto. Pas moyen de jardiner tranquillement. »
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D’un côté, on a le robot, le vaisseau, les planètes, l’organisation galactique : de la sf tout ce qu’il y a de plus classique. De l’autre, le côté « ours » du détective retiré du monde entre deux missions, occupé par son hobby et parlant un langage familier : un classique du polar aussi – mais le mélange de ces deux registres n’est (me semble-t-il) pas si courant (du moins à ce point-là).
Arrive alors la dimension politique, avec toutes les circonvolutions de la diplomatie et ses chemins détournés pour mettre le limier sur la voie d’une mission dont il aura beaucoup à découvrir avant même de chercher à l’élucider.
C’est donc après avoir devisé de manière fort policée au sujet d’une antiquité perse, entre gens de bon goût, que Peyr déduit qu’il est à la recherche du Prince Gandalf IV, héritier du trône disparu dans des conditions mystérieuses quelques longues années auparavant…
Après les intrigues de pouvoir et la séduction à bord du vaisseau Bagatelle, il va devoir affronter la rusticité d’une vallée ressemblant en tous points à la Mongolie terrienne (qui relève de la préhistoire oubliée, dans cet univers futuriste), un guide borné, un maître zen bien plus futé et plus puissant qu’il n’y paraît, un long voyage en caravane, un mélange ahurissant et totalement anarchique de répliques de civilisations terriennes anachroniques, et toutes les incongruités d’une planète inconnue…
Tout en s’efforçant de démêler la vérité et une situation inextricable.
On y croise Attila doté d’un oeil bionique, des dinosaures parachutés dans l’espace, une gamine aux allures de princesse Disney, un char d’assaut allemand télékinésié par des bambins dans une Pompéï-des-sables, des samouraïs domestiques, des portes spatio-temporelles, et surtout, enfin, le Père Noël qui tire bien des ficelles derrière tout ça.
Le dénouement est à la fois intelligent et satisfaisant, inattendu d’une certaine manière, et insolite jusqu’au bout, avec une totale réinterprétation du mythe du père Noël…
Car oui, au final, si tous les éléments du titre sont au moins évoqués, on se demande longtemps ce qu’ils viennent faire dans cette histoire et en quoi ils sont importants au point d’être dans le titre – mais après la dernière page tout prend son sens, qui effectivement justifie bien une telle importance !
Pour conclure, je dirais donc qu’il y a quand même certaines longueurs, voire lourdeurs, notamment dues à un style très verbeux et élaboré – ce qui dénote aussi une écriture très documentée et ultra-référencée bien appréciable, et remarquablement riche !
Et ce complet mélange des genres bourré d’insolite est tout à fait réussi.
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* Le coin des citations *
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« Yeshe-Ö lisait-il dans les esprits? La réponse fut immédiate :
– Pas toujours clairement. Surtout en ce qui te concerne. Tourbillonne en ta tête et ton coeur un tel maelström de questions brûlantes, de désirs ardents, et d’inclinations sans objet qu’il m’est bien difficile de faire le tri dans ce charivari incessant.
Il se pencha en avant et, échine cassée, me tapota l’épaule. Me regardant droit dans les yeux il m’avoua, après un petit rire taquin :
– Au fond, ce que j’apprécie vraiment en toi, c’est que tu m’apprécies.
(…) Vrai, ce vieillard me plaisait : il en émanait une telle bonne humeur mêlée à une telle sérénité que j’avais l’impression de baigner au bord de ce que, faute de mieux, je nommerais ‘sainteté’. Et je découvrais, avec un effarement quasi religieux, que la sainteté ne pouvait s’épanouir que dans l’entrain et la jovialité. »
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* Ce qui est bien, aussi, dans ce roman, c’est qu’on sait ce qu’on y mange et ça sent le gourmet connaisseur :
« J’étais tellement absorbé par ce que contenait mon assiette, concentré sur ce qui descendait délicieusement dans mon ventre, que je dus me sermonner afin de prêter attention au rapport de Lobsang. »
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« – Le commerce va donc péricliter rapidement et Koutcha risque de connaître une grave période de crise. A moins qu’elle ne possède une armée assez puissante pour protéger les caravanes.
– Les habitants de Koutcha ignorent la conscription, se sont toujours moqués des armes et de la stratégie militaire pour n’avoir jamais su ce qu’était la guerre. Si le mot ‘guerre’ existe encore, il a perdu toute signification précise, ne désignant plus qu’une farce très ancienne, un mythe cruel et mystérieux. »
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« J’admirais le dévouement des cavaliers de K’in. Rien ne paraissait les affecter : vers midi, un peu avant la halte, alors que leurs armures surchauffées, qu’ils ne quittaient jamais, se transformaient en chaudrons ardents dans lesquels marinaient et cuisaient les corps, ils ne relâchaient en aucune manière leur surveillance rigoureuse de la lente théorie des chameaux, accomplissant toujours le même ballet, les mêmes relèves de poste. »
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« Moi-même, j’éprouvais les pires difficultés à bien réaliser la situation, à vraiment coller à la réalité. Je cherchais à refouler un sentiment d’étrangeté, comme si tout ce qui m’entourait n’était que toc, décor pompeux, aménagement factice, assemblage délirant d’éléments disparates. Car quoi ! Comment croire en un samouraï installé dans une villa romaine au fin fond du désert d’une planète interdite ? Derrière le crâne à moitié rasé, au-dessus du chignon huileux, se creusait la perspective trop soignée, trop régulière d’une multitude de colonnes ioniennes, entre lesquelles jouaient lumière dorée et plantes verdoyantes. »
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« Ma pensée… Quelle pensée ? Un point minuscule, concentré, plus gravitique qu’un trou noir, et qui filait, ahurissant et multiplié, encore arrêté devant la porte Noire du temple de Jupiter et déjà arrivé dans l’antre du Père Noël, et à l’intérieur d’une pyramide égyptienne, et au fond d’une cave d’une résidence secondaire normande, et au creux d’un repli rocheux d’une grotte de l’archipel nippon, à la fois présent lors de la naissance de l’univers, observant les lendemains chanteurs de la fin des temps, et immobile dans un hic et nunc qui était aussi un ailleurs et demain, un partout et un hier. »
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